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Affichage des articles du 2017

13ème Note, l'odyssée d'une autre littérature américaine

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L'histoire de l'édition est émaillée de dates incontournables, de moments de grâce et d'évolutions essentielles. Gallimard, bien sûr, Pauvert pour le dépoussiérage de Sade (ou plutôt, pour le sortir de sous le manteau), Eric Losfeld pour Emmanuelle et la revue Bizarre. Dans cette lignée, rajoutons les éditions 13ème Note.   L'éditeur qui, en France, a donné une voix aux auteurs américains qui n'en avaient aucune, qu'on laissait sans sourciller dans leur caniveau, une bouteille à la main, les désillusions scintillant dans les yeux. Des auteurs que l'on croit maudits mais qui sont, en réalité, touchés par la grâce, conscients de leurs propres limites, tutoyant leurs échecs, se confrontant sans cesse au miroir grossissant de leurs lâchetés. Des auteurs vaincus par leurs propres démons, vaincus par la vie, vaincus par l'Amérique. Il ne leur reste plus rien, sinon le dernier souffle, le dernier coup de poing comme un baroud d'honneur, et

Bellmer / Buron : la Poupée est devenue humaine

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Dans son étrange laboratoire, Hans Bellmer fourmillait d'idées et de visions. Sans relâche, il dessinait tout, couchant sur papier ses fantasmes et fantasmagories les plus sombres, articulant et désarticulant à l'infini les corps des femmes qui lui apparaissaient sans cesse. Certainement qu'une nuit, au détour d'un rêve, ou plus sûrement au moment où deux songes se sont télescopés, s'est avancée vers lui, dans toute sa lumineuse beauté et sa nudité d’effrontée, la Poupée qu'il s’ingéniera, pendant les quarante années suivantes, à monter et démonter à l'envie.  Toute la psychanalyse du monde pourra noircir des pages et des pages sur les symboles et les représentations de sa poupée, ce qu'elle dit des rapports de Bellmer aux femmes, aux mères, aux maîtresses, ce n'est pas, ici, notre propos. Restons au stade premier de la vue, puis au stade deuxième du ressenti.  Voici l’œuvre : La poupée implorante est devenue forme monstrueuse

Un si paisible petit pays

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 Il y a un an environ, pour les bons soins de la jolie revue l'Indic , spécialisée dans le polar, j'écrivais cette petite note de lecture à propos de Bondrée , de l'auteure canadienne Andrée Michaud. Je faisais part, du moins c'était une tentative, de mon amour absolu pour ce livre, et de l'ambiance sublime qui y régnait page après page.  Ce lieu était comme une respiration, un silence suspendu entre deux mondes, et cela vibrait en moi, pauvre victime des centres-ville trop bruyants. Un an plus tard, ce livre sort en poche, et, le voyant dans la vitrine d'une librairie, la machine à souvenirs s'est mise en branle sans que je cherche sur quel bouton appuyer.  Retour à Bondrée. Retour en terres paisibles (attention, je me comprends, y a quand même un doux dingue qui se promène là-bas et qui trucide de l'adolescente), retour à la nature, loin de l'agitation, loin du trop plein urbain. Alors, je ressuscite cette chronique, sans en changer

L'odyssée d'une génération déçue

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D'abord, il y a cette couverture. Dans la jungle quadrillée que sont les tables des librairies, elle se remarque aussitôt, sort du lot et, immanquablement, suscite l’intérêt. Les jolies éditions RueFromentin ont parfaitement compris l'importance d'une couverture réussie, d'un graphisme impeccable et d'une esthétique qui attire l'attention (exemple avec le dernier né de la maison, L'homme surnuméraire , de Patrice Jean). Alors, bravo à MathieuPersan pour cette illustration. Vive et colorée, il est difficile de ne pas tomber sous son charme. Que voit-on ? Les gratte-ciels de Manhattan, la nuit étoilée sur New York et, en surimpression, le visage d'une femme regardant vers le ciel. La ville à figure humaine ? Une femme qui protège ses habitants ? Le thème de la ville-femme existe depuis longtemps et, à vrai dire, on en a fait le tour depuis le temps. La ville est belle comme un corps de femme, et dangereuse comme l'amour pour une inc

Choléra pour cadeau de Noël

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Dans les boîtes aux lettres, déjà, les catalogues de jouets. Dans les grands magasins, déjà, des rayons entiers de chocolats et des calendriers de l'Avent. Dans les magasins de décoration, déjà, sapins, guirlandes et neige artificielle. Ainsi, c'est déjà Noël ? Je m'engouffre, alors, dans la brèche. Souhaitez-vous des idées de cadeaux ? Voici une première piste : Choléra  ! Joseph Delteil ! Impossible de résumer le livre. Insistons plutôt sur le fait qu'il ne date pas d'hier. Première édition, 1923. Premier public : les surréalistes enthousiasmés, Pierre Drieu La Rochelle époustouflé, Henry Miller enflammé. L'intrigue, qui n'en est pas une : un homme, trois femmes (jeunes) prêtes à lui offrir leurs charmes. Quoi d'autre ? Dans le fond, quelle importance ! Tout le reste n'est que littérature, au sens propre. Des images poétiques, des phrases sublimes. De l'amour et de l'absurde. Ici l'Espagne, là Bayre

Laura Kasischke - Le pressentiment de la catastrophe

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Pendant des siècles, les différentes légendes ont prêté aux alchimistes de tous bords la volonté de transformer le plomb en or. Quelle découverte majeure ce serait, quel bond en avant prodigieux, quelle inépuisable source de richesses aurait-on alors découvert ! Mais tout ceci relève de la chimère, et pareille formule n'a jamais été trouvée. En littérature, on pourrait appliquer cette recherche à la volonté de créer le tout à partir du rien. C'est à dire faire jaillir du banal le plus accompli (une situation du quotidien, un dialogue sur la météo) un élément si troublant qu'il en devient essentiel. Il ne se passe rien, pourtant, tout est là.  Si plus d'un a tenté l'expérience, elle demeure toutefois très difficile à accomplir et, malheureusement, on trouve davantage d'exemples d'échec que de réussite (parfois, tout ceci est trop artificiel et on voit venir le subterfuge : "quel temps superbe, non ?" "Non, regardez ce gros nuage noir

Maurice Pons, quelque part entre le malsain et le lumineux

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Cet article, je l'ai commencé dix fois, douze fois, quinze fois, sans jamais en être satisfait. Pourtant, je retente ma chance. Je voulais écrire un hommage vibrant à Maurice Pons, écrivain de génie pas assez lu à mon goût, qui nous a quitté en toute discrétion il y a plus d'un an maintenant. Je voulais lancer un appel pour la réédition de tous ses livres, romans, nouvelles, y compris ses écrits sur l'art, car la plupart sont épuisés. Je voulais, pourquoi pas, me poser en biographe non officiel de cet homme que je n'ai jamais eu la chance de rencontrer, retracer sa vie, et vivre avec lui au Moulin d'Andé, où il s'était retiré voilà déjà quelques décennies. Je voulais retranscrire les conversations que nous n'aurons jamais, goûter ses alcools et profiter du silence porté disparu dans le tumulte des grandes villes. Je voulais tout cela, mais j'ai été incapable de savoir par où commencer. Ou plutôt si, je connais le point de départ.

La grâce du macabre - Véronique(s) Ovaldé et Dorey

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« Rosa Luisa avait eu trois sœurs. La plus jeune était folle, la deuxième était pute, la troisième était morte. » Ainsi commence Quatre cœurs imparfaits , une nouvelle de Véronique Ovaldé, illustrée par Véronique Dorey. « J'avais failli passer ma vie à lutter contre l'attraction terrestre et mes chairs périssables. Heureusement, je m'étais carapatée avant. » Voici ce qu'on peut lire, au hasard, dans La science des cauchemars . Ainsi, deux magnifiques petits ouvrages, sobres, élégants, cartonnés, édités par Thierry Magnier. Au mot, impeccable, droit au but : Ovaldé. A l'image, sublime, éthérée, cauchemardesque : Dorey.  On connaît Véronique Ovaldé, ses romans font partie des incontournables des rentrées littéraires, d'abord chez Actes Sud, puis L'Olivier, maintenant Flammarion. Je me souviens d' Et mon cœur transparent , qui était véritablement un très bon livre, où un type un peu lâche et malchanceux (nommé Lancelot, on a con

Le Beau Bizarre est un saxophone

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….. le temps est suspendu ..... Puis il s'étire, longuement, comme une volée de marches qu'on pense monter à l'infini, puis il raccourci  si vite si vite si vite  que le ravin que l'on imaginait au loin est déjà sous nos pieds. Le temps du rêve est indépendant de notre volonté, c'est bien ce qui rend ces moments étranges et fascinants. Car dès que le temps nous échappe, tout peut nous surprendre, tout peut nous effrayer. On aime nos rêves les plus absurdes, les plus fous, les plus tordus. Et, précisément, pour ces rêves-là, il semblerait qu'on soit capable d'entendre la petite musique qui les accompagne. Tandis qu'on avance vers la chute, qu'on traverse difficilement des tunnels sombres, qu'on rampe le souffle coupé, un seul et même instrument illustre nos mésaventures : le saxophone. Chaque rêve est une partition pour saxophone, souvent ténor lancinant, parfois chaud et enveloppant, parfois surgit de nulle part, tapi dans

Encore un blog ?

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Oui, je sais, c'est exactement ce que vous êtes en train de penser :  « encore un type qui donne son avis sur les bouquins qu'il a lu ? des films qu'il a vu ? des photos, des tableaux... Il y en a déjà beaucoup trop des comme lui, à la longue, ça en devient lassant. Qu'est-ce qu'il a à dire de plus ? ». Vous n'avez pas totalement tort de dire ça. Mais ! Le but de ce blog est de définir le concept de Beau Bizarre (en toute modestie),  au-delà de Baudelaire,  au-delà du surréalisme,  au-delà de Christophe.  Il s'agit de chercher dans la littérature, le cinéma, les beaux-arts, voire la musique, ce qui pourrait se rapprocher à la fois du sublime et du macabre, de la grâce et du monstrueux. Se rapprocher, dépasser, ou passer à côté (puisque tout échec compte) sans sombrer pour autant dans le « soleil noir de la mélancolie » (sans vouloir faire le poseur).  L'idée est davantage de décrire une ambiance et un concept, plutôt que déverser