Maurice Pons, quelque part entre le malsain et le lumineux





Cet article, je l'ai commencé dix fois, douze fois, quinze fois, sans jamais en être satisfait. Pourtant, je retente ma chance.
Je voulais écrire un hommage vibrant à Maurice Pons, écrivain de génie pas assez lu à mon goût, qui nous a quitté en toute discrétion il y a plus d'un an maintenant. Je voulais lancer un appel pour la réédition de tous ses livres, romans, nouvelles, y compris ses écrits sur l'art, car la plupart sont épuisés. Je voulais, pourquoi pas, me poser en biographe non officiel de cet homme que je n'ai jamais eu la chance de rencontrer, retracer sa vie, et vivre avec lui au Moulin d'Andé, où il s'était retiré voilà déjà quelques décennies. Je voulais retranscrire les conversations que nous n'aurons jamais, goûter ses alcools et profiter du silence porté disparu dans le tumulte des grandes villes.

Je voulais tout cela, mais j'ai été incapable de savoir par où commencer.



Ou plutôt si, je connais le point de départ. C'est Les saisons, et j'imagine que c'est le point de départ de beaucoup des lecteurs de Maurice Pons. On entre toujours par ce livre inclassable, sombre et envoûtant, que la rumeur a transformé en chef d’œuvre, que l'histoire littéraire qualifie de bijou méconnu, et que les connaisseurs mentionnent par un simple mouvement de tête. Il faudrait créer un badge « Je l'ai lu », comme, au temps jadis, il en existait pour se reconnaître dans le cercle très fermé des chanceux ayant vu Eraserhead.



Mais finalement, comme le film de Lynch, tout le monde a fini par lire Les saisons, et les « initiés » dont nous parle la quatrième de couverture de la réédition chez Christian Bourgois sont désormais beaucoup trop nombreux pour qu'on puisse les qualifier de défricheurs de littérature « cachée », se refilant sous le manteau les nuits sans lune des exemplaires de ce roman dérangeant.
A moins que. Peut-être qu'il n'y a pas tant de gens qui l'ont lu, qui ont voisiné sur un peu plus de 200 pages avec Siméon et les monstres humains (j'exagère tout de même) qui l'entourent, dans ce pays battu par le vent et vaincu par la pluie. Dans ce cas, ruez-vous sur le chef d’œuvre ! Ruez-vous sur le livre culte ! Fermez les yeux un instant et imaginez l'ongle de votre orteil, pareil à celui de Siméon, gonfler, gonfler et gonfler encore jusqu'à devenir une boule curieuse semblable à un oignon ! Laissez-vous porter par la magie de ce texte, son étrangeté, sa puissance !
Et alors, les mains tremblantes, vous pourrez, à votre tour, vous dire : il faut que je lise TOUT Maurice Pons !

Vous pousserez les portes de votre librairie préférée avec cet espoir ardent de découvrir toute l’œuvre de l'inclassable, du mystérieux Maurice Pons, ce nom que l'on répète en chuchotant de peur qu'il nous révèle mille autres affreux tourments de l'âme humaine. Avec un peu de chance, vous trouverez dans les rayons Le passager de la nuit, récemment réédité par Points. L'histoire d'un homme amoureux fou de sa voiture qui accepte de prendre à son bord un homme dont il ne sait rien et qui lui semble en tout point antipathique. La traversée, de nuit, de la France des campagnes va nous en apprendre d'avantage sur lui, tout en déroulant l'étrange jeu auquel s'adonne les deux protagonistes, dont les dialogues mêlés de crainte et de soupçons reflètent parfaitement l'état d'esprit. Jusqu'à l'ouverture, et, sinon l'apaisement l'un envers l'autre, la compréhension. 



Sorti durant la guerre d'Algérie (1960, cinq ans avant Les saisons), ce livre avait fait son petit scandale. Mais il ne reflète pas totalement le mystère de l'univers de Maurice Pons, un monde où le malsain et le lumineux se promènent main dans la main devant le coucher de soleil (qui ne se relèvera plus). S'il faut un livre pour comprendre cette image, c'est Mademoiselle B.

Maurice Pons se met lui-même en scène. Un écrivain qui n'écrit plus, ou alors de simples fragments (il évoque une étude sur Paul Klee qui verra le jour en 2011, soit 38 ans après la sortie de Mademoiselle B.), vit retiré dans un petit village loin loin de la grande ville. Par un dimanche comme tous les autres, il découvre par hasard le cadavre d'un homme noyé, en état de décomposition très avancée. Il convient d'ailleurs de préciser ici que Pons semble avoir une fascination pour les descriptions les plus scabreuses et précises des corps humains déchiquetés, transformés, décomposés (et l'on repense évidemment à l'image du bulbe d'oignon en guise d'ongle d'orteil), puisque, outre le noyé en question, il ne sera pas avare de détails macabres sur les autres cadavres retrouvés tout au long du roman. Il est si habile que l'on dirait un expert en art décrivant à un aveugle avec la plus parfaite précision tous les éléments d'un tableau, sans jamais aller trop loin dans l'ignoble, mais suffisamment pour nous provoquer un léger malaise.
Tout le talent de Maurice Pons réside alors dans cette espèce de badinerie capable de nous faire passer la pilule de toutes les horreurs. Un peu comme ces piliers de bars PMU que l'on pourrait croiser le long de la route, dans des patelins perdus, et qui raconteraient sans trembler la découverte du corps d'une vieille femme, allongée sur le sol de sa cuisine où pourrissent déjà des milliers de mouches, morte depuis deux mois et que ses propres chats auraient fini par dévorer pour ne pas mourir de faim. Ah, la pauvre Fernande, tout de même ! C'est pas drôle quand on y pense.

Tout le roman est un équilibre entre la pétillance, l'intelligence de l'auteur, sa facétie et ses jeux sur ses charmes et l'angoissant et terrible mystère qui entoure Mademoiselle B., une femme comme une légende urbaine qui se trouve être le dénominateur commun entre tous les morts qui fleurissent dans le village. On pense à des suicides, mais ceci n'est pas rationnel. Quel genre de pouvoirs possède Mademoiselle B. ? Est-elle seulement humaine ?



Il y a mille façons d'interpréter cette histoire de sorcière moderne, mille façons de juger le personnage à la lumière des racontars plus ou moins absurdes dont elle est l'objet. La fin on ne peut plus tragique (d'autant plus, encore une fois, que le ton du livre est léger et taquin) nous ramène pourtant à une terrible réalité : quelle drôle de vie que nos vies suspendues à celle des femmes ?

Peu importe, lisons Maurice Pons !


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