Tableaux d'une exposition #0

 


Tout commence dans la Russie du dix-neuvième siècle, celle de Dostoievski, celle des visages hideux et des doigts vaincus par le froid. Cette Russie éternelle des Tsars qui va bientôt se faire renverser par des hommes enfin détournés des icônes, des hommes qui, après avoir courbé le dos dans les champs ces dix derniers siècles, commencent à comprendre ce qui nourrit leur âme et fait vibrer leur cœur. Ces hommes qui accueillent leur part d'ombre, qui acceptent que leur instinct leur dicte des pensées – et des actes – que les popes jugent pourtant répréhensibles.


Dans cette Russie, rongée par l'absurde gogolien mais encore imprégnée d'un mysticisme qui donne vie aux roussalki et autres Baba Yaga, Modeste Moussorgski s'apprête à visiter l'exposition consacrée à son ami peintre Viktor Hartmann, décédé un an plus tôt. Devant certains tableaux, une illumination créatrice le prend – jusqu'à la fièvre. Il composera, à partir de ces images, plusieurs pièces pour piano, reliées entre elles par une phrase musicale parfaitement reconnaissable, qu'il appellera « promenade ».


Si les tableaux de Viktor Hartmann ont presque tous aujourd'hui disparu, la musique du compositeur est restée. Pour piano seul, ou pour orchestre (arrangements de Maurice Ravel). Ces pièces, regroupées sous le nom Tableaux d'une exposition, rendent autant hommage à l'ami peintre qu'aux mythes russes (on retrouve la Baba Yaga et les gnomes), s'appuyant autant sur les travaux d'architecte du peintre (la porte de Kiev, projet non retenu) que sur ses voyages à travers l'Europe (le jardin des Tuileries, les Catacombes de Paris). 

 

Catacombes - Viktor Hartmann

Il reste surtout l'image d'un homme frappé par la force des tableaux, au point où une puissante énergie créatrice l'ait amené à composer, à faire écho à l'art pictural au moyen de son art musical.


De cette Russie du dix-neuvième au Beau bizarre, il n'y a qu'un pas. La même volonté de se laisser submerger par la beauté intrigante d'une toile, d'une illustration, d'une photographie. L'envie de plonger corps et âme dans l’œuvre d'un artiste, et en faire jaillir quelque chose d'autre. Une illustration, par son ambiance particulière, par ses détails étranges, par ses couleurs par ses formes, m'inspirera quelques lignes ou quelques pages. Ce sont celles-ci que je vous invite à lire, ici, dans cette monstrueuse exposition que j'appelle le Beau Bizarre.

 

 

L'homme sans tête – mais pas sans panache, juste avant qu'il ne se perde dans la forêt fantôme. Quand il reviendra, que nous racontera-t-il ? Quel récit fera-t-il de ce qu'il a vu, ou cru voir ?

Avant qu'il ne perde ses souvenirs, ou bien que ceux-ci soient altérés par le temps, marchons derrière lui. Il sera notre guide à travers tous les tableaux effrayants, oniriques, beaux et bizarres que nous croiserons. En un sens, nous serons cet homme sans tête, parcourant les dédales de cette bien étrange exposition. 

Baba Yaga - Viktor Vasnetsov

Rusalki - Konstantin Makovsky

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