Twin Peaks the Return - Le temps hors de portée



Beaucoup de choses ont changé ces vingt-cinq dernières années, à Twin Peaks comme ailleurs. Les modes ont évolué, les langages se sont transformés, les idéaux se sont individualisés. Surtout, comme Dale Cooper, David Lynch s'est retrouvé enfermé dans la Black Lodge.
Ses films sont devenus plus sombres que jamais (tant au niveau narratif qu'esthétique), le café a eu de moins en moins bon goût (tellement qu'Angelo Badalamenti le recrache sans ménagement dans Mulholland Drive) et les yeux naïfs de grand enfant de Kyle MacLachlan ont disparu de ses castings.

Entre-temps, et peut-être précisément parce que le réalisateur est resté bloqué dans sa Black Lodge, Lynch est devenu le maître du temps disloqué, ou plus exactement, du temps hors de portée.
On ne peut ni le sentir passer, ni mesurer son emprise, encore moins le comprendre. Le temps, dans ses films, est une matière à travailler.
Lynch aime jouer avec des temporalités différentes, créant ainsi une confusion – rédhibitoire pour certains, jouissifs pour d'autres. INLAND EMPIRE en est l'exemple le plus frappant. C'est sur ce film que Lynch nous avait laissé, avant de nous prendre par la main et nous ramener à Twin Peaks.

Les différentes temporalités du nouveau Twin Peaks correspondent aux différents niveaux de conscience, si chers à David Lynch. Notre perception du temps est différent quand nous sommes éveillés (une heure dure soixante minutes), en sommeil (nous fermons les yeux et les rouvrons huit heures plus tard sans avoir conscience que ces heures viennent de passer), ou dans un rêve. Or, le temps ne fait pas partie de la logique du rêve.
Monica Bellucci, dans une scène aussi sublime qu'improbable de l'épisode 14, annonce que nous sommes comme le rêveur qui rêve et qui, ensuite, vit à l'intérieur de son rêve. Et questionne : qui est le rêveur ?
Reformulée, la question pourrait être : de qui partageons-nous la perception du temps ?




L’erreur aurait été de croire que le nouveau Twin Peaks ressemble à l'ancien, où l'unité de lieu était parfaitement respecté (on ne sortait pas de Twin Peaks, ou alors juste pour s'y attirer des ennuis comme au One Eyed Jack). Le temps était parfaitement clair : chaque épisode se déroulait le temps d'une journée.
Le nouveau Twin Peaks est différent : l'intrigue est éparpillée dans trois (voire quatre, cinq, six) lieux différents (pêle-mêle : Twin Peaks évidemment, Las Vegas, Buckhorn dans le Dakota du Sud, le Convenience store de bord de route...) favorisant ainsi l'éclatement du temps (aucune chronologie précise n'est possible, si bien que, durant l'épisode 9, nous sommes le 29 septembre à Twin Peaks et le 20 septembre dans le Dakota du Sud).
Le temps s'étire à l'infini (les interminables scènes de Dougie au casino ou devant ses contrats d'assurance, le balayeur du Roadhouse) et les personnages semblent perdus dans ce temps qui ne passe plus (le dialogue entre Audrey et son mari, étiré sur quatre épisode, où, inlassablement sont répétés les mêmes reproches et les mêmes actions, sans que rien n'évolue).

La boucle temporelle est un autre leitmotiv lynchien, où les mêmes scènes sont jouées plusieurs fois dans le même film mais avec un autre point de vue (les répétitions ou bégaiements dans INLAND EMPIRE, la voiture serpentant de nuit dans les hauteurs de Mulholland Drive).
Ici, la boucle s'étend sur vingt-cinq ans. James Hurley chante encore sa ballade mielleuse Just you and I, la femme à la bûche continue de penser que « Laura is the one », Audrey danse toujours comme une jeune fille...

Mais le véritable coup de génie de Lynch sur ce nouveau Twin Peaks est la réappropriation de son propre matériau. Ainsi l'épisode 17 où Dale Cooper réapparaît la nuit de la mort de Laura et l'empêche de retrouver Leo Johnson et Jacques Renault, la sauvant ainsi de sa triste fin. Le montage fait apparaître le Cooper d'aujourd'hui dans un contre-champ qui n'existait pas dans le film de 1992. Le temps n'est plus seulement éclaté ou disloqué, il est modifié et deux réalités s'affrontent. Deux temps qui ne cohabitent pas, changeant radicalement le cours des événements. Le lendemain, Pete Martell va pêcher et ne découvrira pas le corps de Laura.
Insaisissable, le temps que nous avons admis jusqu'à présent a-t-il fui, ou est-il revenu sur ses pas ?

Dès lors, la seule question qu'il reste à se poser est de savoir en quelle année sommes-nous ? Et de hurler, avec Laura Palmer, terrorisés de ne pas connaître la réponse.




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