La grâce du macabre - Véronique(s) Ovaldé et Dorey
« Rosa Luisa
avait eu trois sœurs. La plus jeune était folle, la deuxième était
pute, la troisième était morte. »
Ainsi commence Quatre
cœurs imparfaits, une nouvelle de Véronique Ovaldé, illustrée
par Véronique Dorey.
« J'avais failli
passer ma vie à lutter contre l'attraction terrestre et mes chairs
périssables. Heureusement, je m'étais carapatée avant. »
Voici ce qu'on peut lire,
au hasard, dans La science des cauchemars.
Ainsi, deux magnifiques
petits ouvrages, sobres, élégants, cartonnés, édités par Thierry
Magnier. Au mot, impeccable, droit au but : Ovaldé. A l'image,
sublime, éthérée, cauchemardesque : Dorey.
On connaît Véronique
Ovaldé, ses romans font partie des incontournables des rentrées
littéraires, d'abord chez Actes Sud, puis L'Olivier, maintenant
Flammarion. Je me souviens d'Et mon cœur transparent, qui
était véritablement un très bon livre, où un type un peu lâche
et malchanceux (nommé Lancelot, on a connu mieux question chance)
découvrait à la mort accidentelle de sa femme qu'elle n'était pas
celle qu'elle prétendait être (du moins, énormément de zones
d'ombre apparaissaient à sa disparition, drainant avec elles
plusieurs personnages curieux et un brin tarés). C'était un bon
roman, loin du cadre habituel des romans français, comprenez par là
qu'il y avait une histoire intéressante et un style qui ne se
contentait pas d'être sentencieux (quelle terreur que cette
littérature devenue refuge d'auteurs qui aiment se regarder écrire,
empilant les aphorismes foireux plutôt qu'essayer de former un
chapitre).
Donc, on connaît
Véronique Ovaldé et son univers à mi-chemin entre le réalisme
magique, l'absurde et le rêve. Mais, à la lecture de Quatre
cœurs imparfaits et, la nouvelle suivante, La science des
cauchemars, on doit reconnaître qu'elle est allée un peu plus
loin, franchissant les portes du macabre, au sens noble du terme. A
savoir un flirt avec la mort et ses symboles. Et les illustrations
magnifiques de Véronique Dorey ne sont pas étrangères à ce
virage.
Un cabinet de curiosités
dans chacune de ces nouvelles : oiseaux cyclopes ou albinos,
vieille femme décharnée à la poitrine adolescente, autiste
hydrocéphale, araignées à tête de singe, obèse dévoré par les
fourmis. Le texte ne peut marcher sans l'image, et inversement, nous
offrant alors deux véritables diamants noirs.
Comment décrire le trait
si particulier de Véronique Dorey ? Fin, intriguant, envoûtant,
il est l'illustration parfaite des doux cauchemars qui nous hantent
encore bien des années plus tard. Des réminiscences lointaines,
légèrement floues dans le contexte mais terriblement précises dans
leurs détails. Un univers fascinant, dans lequel il serait néanmoins
angoissant de vivre.
Il est des images
marquantes, qui nous hantent longtemps longtemps longtemps après les
avoir rencontrées. Les illustrations de Véronique Dorey sont
évidement de celles-ci. Tout à la fois glaçantes et féeriques,
comme si Charles Burns et Thomas Ott s'étaient perdus dans le
courant du pop surrealism. Plongeons, plongez à votre tour, n'ayez
pas peur de vous noyer dans ces eaux troubles, tumultueuses. De toute
façon cela n'est qu'un rêve, n'est-ce pas ?
Non ?
Laissons-nous
transportés, laissons-nous être terrifiés, empruntons ces routes
étranges pour atteindre les lieux imaginaires où vivent les
personnages d'Ovaldé, incarnés par Dorey. Rendons visite à Pepina
la sœur folle et laissons Roberto Apolinario nous raconter ses
cauchemars d'homme obèse dévoré par une goule.
Dans le texte comme au
dessin, un constat : sous le monstrueux se cache la tendresse.
Car finalement, ces deux nouvelles racontent l'histoire d'un cœur
qui lâche.
Et c'est superbe.
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