Le voyeurisme comme simple curiosité
Quand on associe les mots motel et voyeur, on pense instantanément à ce bon vieux Norman Bates, observant par un petit œilleton ce qui se passe dans la chambre d'à côté, dans Psychose d'Alfred Hitchcock.
Et certainement que
Gerald Foos, le voyeur dont il est question dans le récit de Gay
Talese, devait souvent penser à cette scène lors de ses longues
heures d'observation, allongé sur les trois couches de moquette de
son grenier, à l’affût des allers et venus des hommes et femmes
sous ses pieds qui, les imprudents, étaient loin de se douter qu'ils étaient scrutés
par leur logeur.
Le motel du voyeur
est un récit journalistique écrit par Gay Talese, retranscrivant
les pages du Journal d'un voyeur, écrit par Gerald Foos.
Celui-ci a consciencieusement tenu un journal durant les trente
années qu'il a passé à observer les gens qu'il accueillait dans
son motel. Soyons plus précis, avec son épouse, Foos avait fait
l'acquisition d'un motel dans le Colorado pour pouvoir assouvir son
penchant pour le voyeurisme. Il a découpé des rectangles dans le
plafond d'une douzaine de chambres, posé des grilles pour faire
croire qu'il s'agissait là de grille d'aération et, depuis le
grenier surplombant les chambres, il observait à loisir, à travers
les grilles, ce qui se passait sous ses pieds. A savoir les ébats
plus ou moins torrides de ses clients. Parfois des échanges de
drogues. Parfois un meurtre.
Toutes ses observations sont consignées dans son journal foisonnant et passionnant. Toutefois, on peut parfois se demander si certains traits ne sont pas exagérés ou si certains rapports sexuels décrits ne sont tout simplement pas des fantasmes. Il est par ailleurs amusant de comparer la rigueur journalistique de Talese et la liberté (présumée) de Foos avec l'exactitude des faits.
Toutes ses observations sont consignées dans son journal foisonnant et passionnant. Toutefois, on peut parfois se demander si certains traits ne sont pas exagérés ou si certains rapports sexuels décrits ne sont tout simplement pas des fantasmes. Il est par ailleurs amusant de comparer la rigueur journalistique de Talese et la liberté (présumée) de Foos avec l'exactitude des faits.
Qu'est-ce qu'un voyeur ?
Dans l'imaginaire
collectif, on imagine ce type tremblotant aux cheveux gras, la main
dans le paquet de chips, l'autre prête à dégainer, mal à l'aise
en société, ayant connu une enfance difficile, privé de femmes car
incapable de leur adresser la parole, obligé de se réfugier dans
des cagibis impossibles pour – ô extase ! – apercevoir un
bout de peau nue. Toujours selon ce cliché profondément ancré dans
nos esprits, il y parvient à tous les coups et ce qu'il voit le
ravi. Tous les fantasmes qui nourrissent son imaginaire se déroulent
sous ses yeux et ce qu'il voit le contente.
Dans la réalité, en
tout cas celle que nous présente Gerald Foos, tout est différent.
Premièrement, le voyeur est marié et sa femme l'aide à assouvir
ses vices. Deuxièmement, ce qu'il voit l'ennui prodigieusement.
Combien d'heures à ne contempler que le néant et la banalité d'un
couple endormi devant la télévision ? Car c'est la première
observation de Foos : les gens allument d'abord la télé avant
de poser leurs valises. Une autre observation est que les gens se
changent derrière la porte de la salle de bain et font l'amour dans
le noir et sous les couvertures. Le voyeur voulait se rincer l’œil
devant des ébats torrides, il observe principalement du vide.
Évidemment, il se passe
tout de même pas mal de choses croustillantes sous la couette ou à
côté, et Gerald Foos a développé, en trente ans, un talent
certain pour la description de scènes érotiques (certaines pourraient même donner quelques nouvelles intéressantes). Sans jamais tomber dans le grivois, toujours simple, oscillant entre l'évocation et l'imaginaire.
Dans ses notes, il établit des statistiques sur les couples qu'il héberge et leurs pratiques sexuelles. L'intimité de ses clients est disséquée et analysée, parfois avec pertinence, parfois avec une empathie sincère (par exemple, lorsqu'il observe un homme mutilé par la guerre et incapable de satisfaire sa jeune épouse).
Dans ses notes, il établit des statistiques sur les couples qu'il héberge et leurs pratiques sexuelles. L'intimité de ses clients est disséquée et analysée, parfois avec pertinence, parfois avec une empathie sincère (par exemple, lorsqu'il observe un homme mutilé par la guerre et incapable de satisfaire sa jeune épouse).
Foos en profite pour se
poser quelques questions, par ailleurs très intéressantes. Il note
la différence très nette entre l'image que les gens veulent donner
lorsqu'ils ont en « représentation », s'annonçant à la
réception du motel – souriants, affables, aimables – et leur
véritable visage dans l'intimité, à savoir le plus souvent
préoccupés, se plaignant de leurs problèmes d'argent, ou de leurs
problèmes de couples, critiquant sans remords « l'abruti à la
réception ».
Plusieurs pages du
journal de Foos sont presque des réflexions sociologiques et
anthropologiques. Il a avec lui l'avantage de pouvoir comparer ses
observations sur une longue durée et constater l'évolution des
mœurs et pratiques sexuelles, à mesure que la société américaine
se déride et délaisse sa pudibonderie. Par exemple, il peut
observer une progression croissante de la fellation dans les
pratiques sexuelles à partir de la sortie en 1972 du film Gorge
Profonde. Autre exemple, l'essor du triolisme, pratique déviante
à la fin des années 60 devenue (à ses yeux qui en ont vu pas mal)
presque banale dans les années 80.
Alors, Gerald Foos
sociologue ? Il se décrit en sexologue, avec un avantage
certain sur les théoriciens du sexe puisque les sujets étudiés
n'ayant aucune idée d'être ainsi observés lèvent toute inhibition
et se comportent normalement, là où un sujet exposé au regard
scientifique perdrait de son naturel. L'approche de Foos est tout de
même rigoureuse puisque après chaque rapport observé, il ajoute
une conclusion, quelques lignes de commentaires sur la complicité du
couple, sur ses problèmes, ou sur la solidité des relations.
Ce qui permet de revenir
sur le véritable sujet du livre : le voyeurisme.
Est-ce une perversion ? Une paraphilie ? Une déviance ?
Est-ce une perversion ? Une paraphilie ? Une déviance ?
Pour Gerald Foos, tous
les hommes sont des voyeurs. Il n'y a pas de mal à cela. C'est un
penchant naturel de l'homme. « Il y a des gens qui observent
les oiseaux, d'autres qui regardent les étoiles et d'autres, comme
moi, qui observent les gens. »
Ainsi,
le voyeurisme ne serait que la simple manifestation d'une curiosité.
Il n'y a pas de hiérarchie dans la chose observée, l'important est
d'être attentif à ce qui nous entoure.
Et puis, soyons honnête :
assis à votre fenêtre, abattu, désœuvré, ou bien même épanoui,
détournez-vous la tête lorsque vous apercevez vos voisins faire
l'amour dans leur chambre ? Et ne guetterez-vous pas leur
fenêtre, le lendemain, dans l'espoir qu'ils remettent le couvert ?
« Si les gens ne
se savent pas observés, peut-on parler de violation de la vie
privée ? » Voici l'un des arguments avancé par
Gerald Foos pour justifier son activité. Facile, discutable, mais
pas forcément insensé. Sans vouloir forcément se justifier, on
sent tout au long du récit la volonté de Foos d'excuser son
penchant. Pour autant, à la lecture de son journal, un détail nous
frappe : la troisième personne est souvent utilisée, et une
différence de plus en plus marquée se fait entre celui qu'il nomme
« Le Voyeur » et Gerald.
Comme une espèce de
dédoublement.
Le dédoublement est
peut-être plus saisissant encore lorsque, alors qu'il se promène
aujourd'hui en ville, il peste contre la prolifération des caméras
de surveillance, comme violé dans son intimité par ces yeux
mécaniques.
Gerald Foos ne sera
jamais découvert. Le poids des années aidant, il dut revendre son
motel (et le second qu'il avait acheté) et, lassé, mettre fin à
ses activités de voyeur. C'est un homme transformé - de son propre
aveu, il est devenu parfaitement misanthrope, ne supportant plus
l'hypocrisie de façade des gens qu'il a eu tout le loisir d'étudier
une fois le masque tombé, dans leur intimité. Mais, le soir, juste
avant que le sommeil le prenne, ce n'est pas à ses études
sociologiques qu'il pense. Il revoit les corps entrelacés dans les
mille et unes combinaisons qu'il a observées, trente années durant,
depuis son grenier. Lui reviennent en mémoire toutes les acrobaties,
tous les rapports, toutes les possibilités. Et il s'endort apaisé.
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