Enfermée volontaire




Certainement qu'une des terreurs les plus universellement partagées – après les clowns, bien évidemment – est celle d'être enfermé dans un asile de fous. Sain d'esprit, conscient d'être la victime d'une méprise, vous affirmez avec force que votre état mental est normal et que vous avez toute votre raison. Puisque personne ne partage votre avis (sinon, pourquoi seriez-vous là ?), vous vous agitez et, devant l'injustice, hurlez que vous n'êtes pas fou.
Passant, ainsi, pour un fou, puisque vous êtes incapable de vous contrôler.

La sentence est terrible, on vous garde plus longtemps encore dans l'asile, entouré par des fous véritables, des gens au regard vide, abandonnés par leur esprit, les mains tremblantes, dialoguant avec des ombres.
C'est effrayant. Personne ne souhaite vivre une chose pareille, vivant comme Cassandre à se débattre pour convaincre des médecins désintéressés de leur erreur. La plus grande folie serait de plonger dans ce nid de serpents volontairement, en étant parfaitement conscient des risque, sans garantie de pouvoir en sortir indemne.

Nellie Bly ne s'est pas posée la question plus longtemps. Journaliste au New York World à la fin du 19ème siècle, elle décida d'écrire un papier sur les hôpitaux psychiatriques et, poussant l'investigation jusqu'au bout, élabora un plan pour se faire passer pour folle et se faire interner. Elle y parvint, et passa dix jours au Blackwell's Island hospital.
Son article, tiré de son expérience, est saisissant, glacial même.

Les mauvais traitements infligés par les infirmières à leurs patientes sont révoltants. Par exemple, elles se mettent à plusieurs sur une pauvre malheureuse qui a eu le tort de clamer qu'elle avait encore toute sa raison, et, sautant à pieds joints sur elle, parviennent à lui casser deux côtes. En toute impunité, puisque les médecins feignent de ne rien savoir.
Les pauvres patientes y perdent la raison, à force d'être exposées volontairement dans le froid sans vêtements chauds, à force de douches glaciales, à force de nourriture immangeable. Quel esprit sain pourrait le rester lorsque, chaque jour, à l'heure du repas, il redoute de trouver une araignée logée dans la miche de pain sec qu'il lui est servie ?

Nellie Bly ne restera que dix jours et tentera, par son témoignage, de faire changer les choses. Elle y parviendra en permettant de débloquer des fonds pour les asiles. Mais est-elle parvenue à vraiment mettre fin aux ignobles pratiques de ces femmes et de ces hommes censés venir en aide à leur patientes et qui, à l'inverse, aggravent leurs maux ?
Nellie Bly s'en est sortie, puisque le journal pour lequel elle travaillait l'a tiré de cet enfer. Mais qu'en est-il de ces dizaines de femmes dont elle fait le portrait dans son article ? Cette femme qui croyait arriver en maison de repos après un surmenage et qui a fini par sombrer dans la paranoïa suite aux mauvais traitements quotidiens ? Toutes ces autres, serrant les dents, priant pour des jours meilleurs, mais déjà abattues ?

C'était au dix-neuvième siècle. Qu'en est-il aujourd'hui ? La compassion des médecins et des infirmières existe-t-elle ? Leur volonté de soigner leurs patients est-elle acquise ?
Certainement.
Pourtant, dans nos esprits, persiste l'image des asiles synonymes de fabriques pour monstres, hôpitaux à déshumaniser, laboratoires dont on ne sort pas indemne.




La représentation de ces asiles, dans la littérature ou au cinéma, joue beaucoup sur cette impression. Fleurissent régulièrement des fictions où le parti pris est de démontrer l'horreur de pareils établissements (pêle-mêle, on peut évoquer Vol au-dessus d'un nid de coucou, American Horror Story, en passant par ce bijou de paranoïa que fut, au cœur des années 90, la série L'homme de nulle part). De plus, de nombreux photographes aiment à plonger dans les ruines des anciens asiles et montrent les intérieurs quasi macabres de ces hôpitaux. On peut alors citer Mark Davis et ses photographies de halls et de sales d'examens rescapés d'un lointain apocalypse, où subsistent instruments de tortures et murs capitonnés rongés par l'humidité et la rouille.

Dès lors, comment représenter l'asile psychiatrique ?
Est-ce cet hôpital aux murs blancs et propres où l'on soigne les esprits dérangés, tel que l'avancent les dictionnaires ?
Ou bien, comme le veut l'imagerie horrifique, est-ce ce lieu enténébré, mystérieux, entouré de hautes grilles, duquel il est impossible de s'échapper ?



Qui serait prêt, aujourd'hui, à se faire interner pour répondre sérieusement à cette question ?



Nellie Bly10 jours dans un asile
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Hélène Cohen
éditions du Sous-sol (2015), réédition Points (2016)

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